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Le mythe de la montagne naturelle

Orionde, son alpage et ses sentes non balisées maintenues par le passage de quelques randonneurs
Orionde, un alpage entretenu par les moutons et des sentes non balisées maintenues par le passage de quelques randonneurs

Belledonne, espace sauvage, espace naturel. Est-ce si vrai?

 

Nos montagnes ont toujours été habitées et fréquentées par l'homme. Par les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire, qui n'ont pas laissé beaucoup de traces de leur passage. Et pendant plusieurs siècles, par les populations des villages du balcon: paysans, bergers, bucherons, chasseurs, mineurs, artisans des moulins et industriels de la houille blanche.

 

Le paysage que nous admirons aujourd'hui est pour une grande part une création de l'homme.

Sans les agriculteurs, personne n'aurait défriché la forêt pour cultiver des champs, construit des murets en terrasses, dallé des chemins que nous utilisons encore.

 

Sans les bergers, les prairies d'alpage seraient des vernes et des fourrés de rhodendrons impénétrables. Allons faire un tour

sous Cret Luisard et le Grand Rocher, vers le Grand Marais du coté de la Ferrière pour constater ce que devient un alpage abandonné, des moutons et des tétras lyres.

 

Sans les chasseurs, autrefois les mineurs et maintenant les randonneurs, il n'y aurait pas de sentier dans les éboulis et sommets de Belledonne. Des sentes plus ou moins visibles,  cairnées, créées et entretenues par les passages, et parfois maintenant balisées et entretenues dans le cadre du PDIPR.  Tout récemment, ce sont les traileurs de l'Echappée Belle qui ont réouvert l'itinéraire de crête entre le Col de la Mine de Fer et le Pas de la Coche, itinéraire maintenant repris par le GR.

 

Le Belledonne que nous connaissons est une montagne sauvage apprivoisée par l'homme.  Nous la considérons sauvage pour ses espaces isolés, ses marches d'approche longues. Mais imaginons ce qu'elle serait sans les sentiers aménagés qui remontent la forêt! Il faudrait tailler sa route en sous-bois dans les ronces, traverser les torrents, éviter les marécages. 

 

Comme toutes les Alpes, Belledonne a été rendue accessible par l'homme. Rien à voir avec les parcs naturels américains des Rocheuses, où il n'y a aucun chemin tracé, aucun vestige de passage historique, en dehors de l'itinéraire autorisé. A coté, c'est une nature vierge (ou reconstituée), souvent inaccessible, non modelée par l'homme et que le parc protège rigoureusement. Chez nous, en dehors du sentier balisé, l'alpage où pâturent les moutons n'existe que parce que des hommes l'entretiennent et le parcourent. Un espace naturel qui n'a rien de naturellement spontané!

 

Quand on protège l'espace naturel de Belledonne, ce qu'on protège en réalité est un espace largement modelé par l'homme. Certaines plantes rares n'existent que quand l'homme entretient le paysage (juste un  exemple,  le chardon bleu, qu'à ma connaissance on ne trouve malheureusement pas dans Belledonne, a besoin de prés de fauche pour se régénérer).   

 

Anciennes carrières d'ardoise à la Lauzière, à 2700m.
Anciennes carrières de lauzes à la Lauzière, à 2700m.

L'espace "naturel" de Belledonne évolue en fonction des activités de l'homme. Au début du XXème siècle, la population était forte dans nos villages et la montagne était cultivée très haut. A Revel, jusqu'à Freydières et au Mont Morel à 1300m, on voit toujours les traces de champs en terrasse et les cabanes des agriculteurs dans la forêt.  Les ardoises étaient exploitées au sommet de la Lauzière, à 2700m. Aujourd'hui, la forêt descend à 800m, des chemins anciens disparaissent, des champs se recouvrent de friche .En alpage, des pans de montagne se recouvrent de rhodos, comme en Grand Colon et la Lauzière ne voit plus que des randonneurs et des chasseurs de chamois.

 

Protéger l'espace "naturel" de Belledonne, est-ce:

  • le conserver tel qu'il est aujourd'hui?
  • essayer de le reconstituer comme il était en 1900 ?
  • ou bien s'adapter à son évolution qui découle des nouvelles pratiques de fréquentation de la montagne?

 

Vouloir "protéger" le milieu "naturel" en interdisant son accès à l'homme, comme certains puristes de l'écologie voudraient le faire, est un contre-sens. La montagne n'est pas un paradis originel que l'homme aurait dénaturé. L'homme a un impact sur le milieu, comme le mouton, et c'est cet impact qui a crée le paysage que nous aimons aujourd'hui. Pour ouvrir un chemin, il faut couper des arbres.  Pour ouvrir une prairie, il faut piétiner le sol (jusqu'à un certain point...). pour éviter les ravinements, il faut canaliser les torrents. Pour entretenir un chemin, maintenant qu'il y a moins d'agriculteurs en montagne,  il faut que des randonneurs (ou des VTT ou des trailers) y passent. Pour faire du feu, il faut brûler du bois.

 

Poser des interdictions pour la de protection du milieu naturel, ça semble à priori une idée "naturelle".  Dans certains cas critiques, c'est peut-être inévitable. Mais interdire pour éloigner l'homme d'un milieu "naturel" qu'il a contribué à créer, c'est un contre-sens!

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Commentaires: 1
  • #1

    Nadine (vendredi, 23 novembre 2018 23:42)

    Entièrement d'accord avec vous.
    La montagne est belle par sa nature, par ses paysages, mais aussi par son histoire et les vies qu'elle raconte. C'est valable partout en montagne, que ce soit Belledonne ou l'Oisans par exemple. Que seraient ces montagnes sans aucune trace humaine, refuges, bergeries, vestiges d'activités anciennes, etc...?
    Ce site est indispensable, merci de l'avoir créé.